Rencontre avec Clémence, sage-femme
Clémence PERRAZI Sage-femme libérale Aix en Provence

Sage-femme : votre accompagnante de grossesse

Elsa Galland
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Clémence est sage-femme et co-créatrice de la formation DILGA, destinée aux professionnels qui suivent les femmes enceintes et les jeunes mères et souhaitent acquérir des compétences en yoga périnatal (prénatal et postnatal). Le yoga périnatal permet de mieux accompagner les patientes dans la connaissance d’elles-mêmes.
Un véritable crédo pour Clémence :
« Se connaître soi-même est l’une des façons de bien vivre ce bouleversement qu’est la maternité ».


Le rôle de la sage-femme

Clémence, tu es sage-femme mais aussi jeune mère et épouse. Quel regard professionnel et personnel portes-tu sur toutes ces casquettes ?

Je suis une jongleuse ou une équilibriste ! Toutes les femmes passent leur vie à jongler entre leur vie de mère et de femme. Côté professionnel, personnel et intime : rien n’est jamais figé. L’équilibre qui convient à un moment donné n’est pas celui qui conviendra toujours. C’est en cela que la vie de jeune maman et de femme est intense. J’ai à cœur d’accompagner les femmes dans mon métier, leur donner des clefs pour qu’elles puissent jongler sur tous les fronts mais je suis aussi là pour leur faire prendre conscience qu’il faut apprendre à lâcher. Je le vis personnellement, donc je sais à quel point c’est essentiel. C’est une facette de mon métier que j’aime !

Soutenir la maman en post-partum

Comment soutiens-tu tes patientes en post-partum, une période dont on parle moins que la grossesse et qui peut s’avérer délicate pour certaines ?

En post-partum on est peu accompagnée c’est vrai. Durant cette periode j’invite mes patientes à se recentrer sur elles, à s’autoriser à penser à elles. La rééducation périnéale, abdominale et le yoga sont de bonnes façons de se reconnecter à soi, physiquement. Après un accouchement le corps peut nous sembler étranger et il faut se retrouver.

La rééducation périnéale est souvent la première chose que les femmes font exclusivement pour elles-mêmes après un accouchement. C’est tout simple mais s’autoriser à se réaccorder du temps commence par là. Voilà la première marche pour se réinvestir. On est un peu dissociée au début de la maternité. On dit souvent qu’être mère se résume bien à la petite phrase qui détourne un verset bibilique : « tu aimeras ton prochain plus que toi-même » mais cela conduit à l’oubli de soi. Néfaste pour soi-même mais aussi, à terme, pour l’enfant et l’entourage.

Les premiers mois de la maternité expliqués par une sage-femme

Mais n’est-ce pas un peu normal de faire passer son enfant en premier durant ses premiers mois de vie ?

Cette préoccupation maternelle primaire est un processus physiologique normal, destiné à assurer la survie du nourrisson, mais il doit demeurer passager. Au bout d’un moment on doit refaire attention à soi. Nous sommes aujourd’hui dans une société très extrême, il n’y a pas de demi-mesure et trop de femmes s’oublient dans la maternité. Nous (les femmes) avons intégré que nous devons nous sacrifier en tant que femmes.

Mais notre génération ouvre les portes pour les générations futures. Et ouvrir les portes ça fait mal ! Nos grand-mères ne se posaient pas autant de questions sur comment être mère. C’est pour ça que l’on parle beaucoup d’épuisement maternel et de burn out maternel ces dernières années. De plus, les femmes sont jugées en permanence et condamnées aussi : celle qui est trop à la maison est montrée du doigt mais celle qui est trop au boulot l’est tout autant.

une maman moderne dans un café avec son bébé

Nous (les femmes) avons intégré que nous devons nous sacrifier en tant que femmes.

La puissance de la mère

L’image que les femmes veulent renvoyer aux autres fait partie du problème ?

La société porte sur nous un regard dur et la maternité n’est pas considérée comme elle devrait l’être par la société. Porter et mettre au monde un enfant est un effort inoui et qui bouleverse intimemement. Mais pourtant, lorsqu’une femme revient travailler après un congé maternité, la structure ne va pas prendre en compte le fait que cette personne est désormais différente de celle qu’elle était avant de devenir mère.

Or, une femme devenue mère est plus puissante qu’avant, grâce et par ce qu’elle a vécu. Elle est plus créative aussi ! Malheureusement, de nos jours il faut dire : « non non tout est ok, mes enfants sont malades mais je suis là et j’assure au boulot ». Il faut surtout faire de son mieux. Je me le dis pour ma fille (et mon fils aussi !) : j’ai plein de forces, plein de failles et c’est normal.

La nouvelle génération de femmes

Nous serions une génération au seuil d’un changement, un changement nécessaire ?

Oui ! Un génération charnière et il ne faut pas attendre que la société bouge à notre place. Nos enfants sont les hommes et les femmes politiques de demain.

Il faut aussi nuancer : la condition de la femme ne fait que s’améliorer pour l’instant en France, même si parfois cela nous semble trop lent. Tout ce que l’on fait, on le fait pour nos filles, nos petites-filles.

Conseils post-accouchement d’une sage-femme

Quel conseil donneriez-vous aux futures mères pour bien vivre les premières semaines après l’accouchement ?

La rééducation commence dès la table d’accouchement ! Leur corps est alors dans un état qui n’est ni celui de la grossesse ni celui d’avant la grossesse : baisse de la force musculaire, articulations lâches, bassin élargi… Tout est différent.
Dès la table d’accouchement on peut prendre conscience de son corps, de sa respiration et reprendre ce que l’on a appris avant d’accoucher.

Le yoga m’a aidée pour ça. Plus on a pris conscience de son corps pendant la grossesse plus on peut être éveillée, accompagnée ensuite. En post-accouchement c’est plus difficile de mettre ça en place si rien n’a été fait en amont. Ce temps du congé maternité doit être l’occasion de prendre conscience de son corps et des changements qui s’opèrent.

Avant d’être enceintes, les femmes ont rarement une idée précise de ce qu’est leur périnée. Or, le périnée d’une femme c’est son socle, c’est l’ancrage d’une femme, disons le plancher de la maison. Après l’accouchement il est physiquement attaqué mais aussi énergétiquement. J’ai développé cette idée avec le temps mais le périnée n’est pas juste un simple ensemble de muscles.

Meilleure astuce pour l’accouchement

Quelles sont les attentes principales des femmes que vous suivez à votre cabinet ?

En ce moment je vois beaucoup de femmes qui ont un déficit de confiance en elles. Nombreuses sont celles qui se disent : vais-je être capable d’accoucher ? Vais-je y arriver ? Elles prennent plein de cours, d’activités, lisent des tas d’articles et de livres, consultent de nombreux spécialistes… La maternité est devenue très scolaire ! On cherche la tête bien pleine or on en sait déjà trois fois trop et il faut écouter le corps, le laisser faire et avoir pour cela déployé sa confiance en soi.

Parallèlement il y a une méfiance envers le monde médical. Les femmes ont des informations et c’est bien mais pour moi cela devient de la surinformation et les femmes arrivent stressées en salle d’accouchement.

Je ne conseille jamais de bouquins à lire à mes patientes, je leur dis sur le ton de l’humour : vous en savez déjà trop, on n’accouche pas avec sa tête ! J’ajouterais, au lieu de lister des livres à lire, faites vous une liste de vos kifs avant l’accouchement, de ce qui vous fait plaisir, de ce que vous aimez . Les informations sont sensées rassurer et déculpabiliser mais cela devient anxiogène ce trop plein.

Avant d’aller taper sur Google le moindre de vos symptomes, écoutez-vous : aujourd’hui ça me tire, j’ai mal. Regardez la réponse qui est souvent en vous : la veille vous vous êtes disputée avec un proche ? Vous avez trop forcé pendant la journée ? Etc.

« Connais-toi toi-même » pourrait être ma devise : les réponses sont à l’intérieur et pas à l’extérieur.

beau bébé en body blanc et sa maman

On a accès à l’information et c’est une chance mais il faut écouter son corps et son intuition. On se raccroche à des professionnels mais ils n’ont pas la parole de vérité, moi la première !

Les mères veulent tellement bien faire qu’elles sont un peu paralysées. J’ajouterais : faites-vous confiance, soyez patiente. On rencontre son enfant quand il naît. Et rencontrer quelqu’un, apprendre à le connaître… C’est long, non ?

On est une génération impatiente. Quand l’enfant a un truc de travers, on veut tout de suite une réponse : on va vite aux urgences, on envoie des messages au pédiatre, à la sage-femme… Or, c’est parfois inutile !

Projet de naissance, vision de la maternité… avis d’une sage-femme

Certaines femmes se sentent isolées à la naissance de leur enfant, est-ce que cela ne favorise pas ce besoin de se rattacher à un avis extérieur ?

Il y a en effet un gros sentiment d’isolement chez les jeunes mères car contrairement aux générations précédentes, on n’a plus la mère et la grand-mère ou les tantes pour nous accompagner au quotidien.

On a aussi trop d’attentes actuellement sur l’accouchement par exemple. Ce n’était sans doute pas le cas il y a cinquante ans. « Projet de naissance » est un mot que j’ai banni de ma pratique : je ne prépare pas mes patientes à accoucher dans telle ou telle position, je les aide à vivre au mieux la rencontre avec leur bébé qui est la finalité de la grossesse car l’accouchement n’est pas la finalité de la grossesse. La claque peut être énorme quand on a projeté trop de choses.

La maternité est une crise mentale, physique, morale, au même titre que l’adolescence. C’est la naissance de soi et on entre en crise avec sa propre mère, avec ses proches, on change de génération aussi. Ça renvoie à des moments de sa propre histoire qui peuvent être douloureux.

Maman ou l’art de se faire plaisir

En somme, nous les mères, nous en ferions un peu trop ?

Oui. Avant sa naissance, on a déjà beaucoup d’attentes sur l’enfant à naître et forcément on se prend une claque à l’arrivée. Le mois d’or, le rebozo, le batchcooking avant l’accouchement etc. c’est bien beau tout ça, mais il faut surtout faire des choses qui vous font kiffer. Parce qu’à la fin, tout ça met une pression de dingue sur les mères.

Quand j’ai accouché j’avais envie de saucisson et de camembert mais pas du dernier bouillon régénérant recommandé dans les bouquins spécialisés 😆

Si une maman va bien, si elle fait des choses qui lui font plaisir alors elle sera bien plus détendue avec son enfant que si elle fait tout un tas de choses parce qu’elle s’y oblige, parce que « c’est ce qu’il faut faire ».

maman roule sur une draisienne bébé noir et blanc

Les mamans qui vont bien sont celles qui s’autorisent des choses, qui se font plaisir. Je veux déculpabiliser la maternité.

Par exemple, mieux vaut un biberon donné avec amour qu’un sein forcé. Les enfants apprennent par mimétisme : s’ils voient une maman qui sourit et sait rigoler de ses faiblesses, il sera comme ça. Dites-vous : si je vais bien, mes enfants iront bien. Et prenez le temps d’aller bien !

Allaiter, pas allaiter… sous l’oeil d’une sage-femme déculpabilisante

Il y a beaucoup de pression autour de l’allaitement ces dernières années. Qu’en penses-tu ?

En effet ! J’accompagne les femmes dans leurs choix et je les aide à se déterminer en ce qui concerne l’allaitement. Je les aide quand elles en ont envie. L’allaitement est une liberté : au sein, tiré puis donné au biberon, sein + biberon…. Chacune fait à sa façon. Je n’ai jamais dit à une patiente : il faut arrêter maintenant et faire ci et ça.

L’allaitement c’est compliqué, parfois on en a marre, parfois cette fusion on en n’a plus envie. C’est toute la dichotomie quand on est jeune maman. On est toujours partagée entre fusion et séparation et il faut l’accepter. Mon rôle est de donner les bonnes pistes pour l’allaitement. Ensuite idéalement, je recommande de s’entourer d’un ou deux professionnels référents (sage-femme, pédiatre, conseillère en lactation etc.) et ne pas se laisser happer par les conseils des uns et des autres qui peuvent être contradictoires. Enfin sur l’allaitement à la demande, un bébé ne pleure pas que lorsqu’il a faim.

On a toutes, moi la première, envie d’être de nouveau dans un corps que l’on reconnait, dans lequel on se sent mieux. Si le congé maternité était plus simple, on aurait plus de temps pour reprendre notre souffle ! Tout passe, il faut avoir confiance dans le temps. C’est une émotion la confiance en soi. Ce n’est pas un état. Lorsque l’on est enceinte ou jeune maman cette émotion est mise à rude épreuve ; il faut garder confiance en soi et en la vie. La patience c’est la confiance dans le temps et la maternité demande de la patience !

Retrouvez Clémence Perazzi-Menut à Aix-en-Provence et en ligne :

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